LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

 

En 1965, le traité de Bruxelles a établi une Commission unique (et un Conseil unique) des Communautés européennes. La Commission est un organe supranational et représente l’intérêt communautaire. Les commissaires sont nommés d’un commun accord par les gouvernements des Etats membres, pour 5 ans. Ils ne peuvent recevoir aucune instruction de la part des gouvernements. Même si les commissaires se répartissent différents portefeuilles et ont autorité sur une ou plusieurs des 23 directions générales, la Commission fonctionne de façon collégiale : toutes les propositions d’un commissaire doivent recueillir l’accord consensuel du collège des commissaires avant d’être transmises au Conseil et au Parlement. Pour la présidence de la Commission européenne, le Conseil européen propose un candidat qui doit ensuite être approuvé par le Parlement européen.

La Commission est gardienne des traités, elle veille à l’application correcte des décisions et elle dispose d’un pouvoir de sanction à l’encontre d’un Etat membre. Elle peut saisir la Cour européenne de justice en cas de non-respect des lois communautaires par un Etat membre. Elle prépare le budget de la Communauté (budget arrêté par le Parlement européen), et le gère. Elle représente la Communauté dans les organisations internationales. Elle a surtout le monopole de l’initiative des décisions communautaires. La Commission est parfois mandatée par le Conseil des ministres (et par le Conseil européen pour les grandes orientations européennes), mais le plus souvent, elle a l’initiative des propositions et, mis à part un petit nombre de cas, le Conseil des ministres ne peut se prononcer que sur une proposition de la Commission. La Commission intervient à la phase d’élaboration d’un projet, elle est l’initiatrice de la politique communautaire. Elle est également un organe d’exécution, elle établit les textes d’application des décisions prises par le Conseil.

Mis à part le domaine de la concurrence où la Commission fait office d’exécutif (la Commission a obtenu un pouvoir considérable dans la politique de la concurrence depuis la période entre l'Acte unique et le traité de Maastricht), c’est le Conseil, organe intergouvernemental, qui décide et vient s’immiscer dans le dialogue entre les deux institutions supranationales que sont la Commission et le Parlement européen.

Conformément à l’esprit des traités et au projet fondateur, la Commission mène une politique néo-libérale, prônant une mondialisation libérale et un libre-échangisme sans entraves, objectif jadis théorisé par l'OCDE et réellement appliqué en Europe depuis l’Acte unique sous l’impulsion de la Commission. Cette politique vise à une déréglementation généralisée avec une priorité accordée au principe de concurrence. D’où l’opposition de la Commission à la constitution de pôles industriels européens, et l’évolution vers la privatisation des services publics. Dans le même esprit, la Commission a négocié dans le plus grand secret (mais avec la participation active des multinationales) l'AMI, accord multilatéral sur l’investissement, dont le but visait à légitimer juridiquement la suprématie des multinationales sur les Etats. Ces négociations furent abandonnées en 1998 sous la pression d’un mouvement citoyen. Néanmoins, depuis, la Commission poursuit fort logiquement sa politique néo-libérale avec la libéralisation des services, l’ouverture des services publics à la concurrence et la marchandisation de l’éducation, de la santé et de la culture.

Cette politique néo-libérale et libre-échangiste vise à créer une zone de libre-échange, un marché européen uniformisé, débarrassé de ses spécificités identitaires et culturelles. 

La Commission mène son action au moyen d’un processus opaque et non démocratique. Ainsi, c’est au sein du comité 133 (article 113 devenu 133 avec Amsterdam) que réside le mécanisme secret des prises de décisions qui s’imposent aux États. Ses avis sont élaborés par de haut-fonctionnaires et des représentants des multinationales (UNICE - TABD) qui font part de leurs recommandations à la Commission. Même les multinationales américaines ont pignon sur rue à Bruxelles. Les représentants des multinationales et la Commission ont une même vision de la mondialisation au travers du partenariat économique transatlantique. Les documents ne sont pas publics, les documents sont imposés aux gouvernements et aux parlements nationaux sans laisser le temps d’un débat démocratique. Lors de la crise de la Covid 19, on a également vu la Commission interdire aux parlementaires de consulter librement des documents décisifs concernant les contrats avec les laboratoires pharmaceutiques.

Loin d’un simple pouvoir d’avis, le comité 133 détient le pouvoir décisionnel. Le Parlement européen n’intervient presque jamais. Les représentants des multinationales ont fortement intensifié leur action de lobbying auprès de la Commission (et du Parlement européen) depuis l’Acte Unique. On estime qu’environ 4 000 groupes d'intérêt employant jusqu'à 15 000 personnes (payées à prix d'or) font du lobbying sous une forme ou une autre à Bruxelles. Il s’agit d’intérêts non seulement européens mais également internationaux (dont les multinationales américaines). Bruxelles est la deuxième capitale mondiale des lobbyistes (après Washington) mais ces derniers ne sont soumis à aucune obligation réglementaire.

C’est ainsi par exemple que, sous la pression des grands groupes agroalimentaires, la Commission européenne plaide pour la fin du moratoire sur les OGM alors que l'Union européenne a ratifié en 2002 le protocole de Carthagène sur la bio sécurité (issu de Rio en 1992), accord international fondé sur le principe de précaution. En conséquence, en cas d’autorisation des cultures d’OGM à grande échelle, la disparition de l’agriculture biologique est inéluctable. Dans les faits, la Commission européenne a mis fin en mai 2004 à un moratoire datant de 1999 sur les importations d'organismes génétiquement modifiés en autorisant la mise sur le marché de boîtes de maïs doux Bt-11.

L'alliance entre la Commission européenne et les représentants des multinationales date d'environ 1982. Cette alliance a joué un  rôle majeur dans l'élaboration de l'Acte Unique (1986) et des traités suivants. On retrouve dans ce lobbying la Table ronde des industriels européens (ERT) qui a joué un rôle majeur dans la mise en place de l'Acte Unique, l'UNICE, l'AMCHAM (le comité européen de la chambre de commerce américaine) qui intervient de plus auprès du COREPER, le Dialogue sur le commerce transatlantique (TABD) qui exerce également du lobbying sur le parlement européen en vue d'achever le marché transatlantique .

La Commission européenne répond donc aux besoins des multinationales en favorisant le développement de l'industrie du génie génétique, aussi bien dans le domaine de l'agriculture que dans celui de la santé. Le développement de l'innovation en santé repose sur des logiques économiques tout en délaissant la promotion de la santé et la sécurité des patients (comme pour une autorisation de mise sur le marché conditionnelle). Quant au bilan de la politique agricole commune, il se traduit par une utilisation massive de fertilisants et de pesticides, une perte de la biodiversité et une dégradation des écosystèmes.

Déléguer le pouvoir des Etats à l'Europe nécessite une exemplarité des institutions européennes. En ce qui concerne la Commission européenne, nous sommes loin du compte. En 1999, la Commission Santer a démissionné suite à des accusations de corruption, d'abus de pouvoir et de malversation financière. Puis Manuel Marin a été accusé de fraudes dans l'aide humanitaire. Romano Prodi a fait l'objet de nombreuses critiques. Il y a eu l'affaire Barroso (auparavant, Peter Sutherland avait aussi fait la navette entre la Commission européenne et la banque d'affaire Goldman Sachs, ainsi que Mario Monti). Pour Jean-Claude Juncker, il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens. Ursula von der Leyen, élue de justesse en 2019, a été critiquée pour mauvaise gestion administrative, elle a fait l'objet d'une action en justice du New York Times en 2023, fait l'objet d'une enquête du Parquet européen, puis soupçonnnée de favoritisme en 2024, elle est également critiquée pour ses prises de positions unilatérales, pour les contrats des vaccins Covid pour pour la politique étrangère. Il faut également mentionner l'influence grandissante des cabinets de conseils privés avec son lot de conflits d'intérêt. Cerise sur le gateau, en juillet 2023, une américaine aurait pu être nommée à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne !

Au-delà des critiques que l’on peut émettre à l’encontre de la Commission et dont le mode de fonctionnement contribue au déficit démocratique de l’Europe, il ne faut pas perdre de vue que la Commission agit dans l’esprit des traités qui sont négociés et signés par les chefs d’États et de gouvernements des États membres. De la même façon, lorsque des gouvernements nationaux n’osent appliquer une politique, ils donnent mandat à la Commission européenne. Celle-ci propose, le Conseil décide en dernier ressort et la politique devient applicable aux États membres. Les gouvernements se disent alors impuissants et contraints par les directives européennes, évitant ainsi un débat national.

Ainsi, une réelle démocratisation des institutions européennes nécessite au préalable une révision des traités fondateurs.

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