LA
CONSTRUCTION EUROPÉENNE
De nombreux projets d'organisation de
l'Europe naissent tout au long de son histoire, plus
particulièrement à partir du XVIIIème
siècle (Abbé Saint Pierre, Kant, Bluntschli...) mais le
premier projet d'union européenne d'origine
gouvernementale émane d'Aristide Briand dans son discours
du 5 septembre 1929. Ce dernier s'inscrit dans la lignée de
l'action de Richard Coudenhove-Kalergi (Pan-Europe est publié en
1923) et du protocole de Genève de 1924
(prééminence du droit avec l'arbitrage par une cour de
justice de tout différend entre Etat).
Les
raisons de la construction européenne
Au début du XXème siècle, l’Europe incarne la
toute puissance et est à son apogée. En 1945, elle vit
dans la peur et
l’impuissance.
1/ La volonté
de pacification du continent par la coopération
L’Europe est le
premier modèle dans l’histoire d’une association
d’Etats qui décident de
collaborer et d’œuvrer pour un intérêt commun.
Cette association librement
choisie marque une rupture fondamentale dans l’histoire de
l’Europe qui pendant
plusieurs siècles a été constamment un champ de
bataille entre de grandes
puissances rivalisant pour assurer leur hégémonie, que ce
soit au nom
d’intérêts économiques, d’une
idéologie religieuse ou politique. C’est
également la première fois dans l’histoire
qu’une orientation vers une voie
fédérale est envisagée après
l’échec des diverses solutions confédérales,
depuis l’équilibre européen des XVIIème
et XVIIIème siècles, en passant par la
Société des nations et l’Organisation
des Nations-unies au niveau mondial. Churchill appelle le 19 septembre
1946 à des Etats-Unis d'Europe (mais cela concerne dans sa
pensée le continent exclusivement). L'Union européenne
des fédéralistes est créée peu
après.
Du
7 au 10 mai 1948, quelques 800 personnalités favorables à
l’unification
européenne se réunissent au congrès de La Haye (le
mouvement européen en sera issu). La
France défend l’idée d’un
pouvoir supranational issu d’une Assemblée élue au
suffrage universel. Le
Royaume-Uni s’y oppose et ne veut pas aller au-delà
d’une simple négociation
intergouvernementale au sein d’un Conseil de ministres où
l’unanimité serait la
règle. Finalement, la structure du Conseil de
l’Europe créé le 5 mai 1949 à la suite
de ce congrès est de nature
intergouvernementale avec un Comité des ministres qui statue
à l’unanimité, et
une simple assemblée consultative désignée par les
Parlements nationaux. Le
compromis adopté était donc proche des thèses
britanniques.
2/ La
reconstruction économique
La fin de la deuxième guerre mondiale laisse une Europe dévastée et coupée en deux. Pour reconstruire le continent, le stabiliser et en faire un îlot de paix et de prospérité, les Etats prennent conscience de la nécessité d’œuvrer ensemble. Mais toutes les économies européennes sont exsangues et les Etats-Unis décident d'apporter leur aide. Pour distribuer l’aide du plan Marshall (juin 1947), la Grande-Bretagne au bord de la faillite ne pouvant assumer ce rôle, les Etats-Unis inciteront les européens à créer le 16 avril 1948 une organisation intergouvernementale, l’Organisation européenne de coopération économique (OECE, qui deviendra plus tard l’OCDE) tout en demandant l'abaissement des barrières douanières.
3/ La
menace soviétique
La France et la Grande Bretagne signent le traité de Dunkerque le 4 mars 1947, afin de faire face à une éventuelle menace allemande. Mais la menace soviétique va supplanter la crainte de l’Allemagne. L’URSS rejette le plan Marshall et contraint la Pologne et la Tchécoslovaquie à suivre la même voie. Peu après le coup de Prague en février 1948, la France, la Grande-Bretagne, et les pays du Benelux signent à Bruxelles, le 17 mars 1948, un traité de défense collective, l’Union occidentale.
L’URSS établit le blocus de
Berlin de juin 1948 à mai 1949. L'American Committee for United
Europe (ACUE) est créé en janvier 1949 : face à la
menace soviétique, les Etats-Unis soutiennent alors dans un
premier temps une politique d'intégration européenne.
Dans la foulée, l’OTAN
sera créée en
avril 1949, et placée sous commandement américain. L'URSS
fait exploser sa bombe atomique en août 1949. La
guerre de Corée éclate en
1950 dans le climat de guerre
froide. Le projet de Communauté Européenne de
Défense (CED) reçoit le soutien américain.
4/
La réconciliation franco-allemande.
Le traité de
Paris (1951) organise la mise en commun de la production et la
consommation du
charbon et de l’acier entre 6 pays : Belgique, France, Italie,
Luxembourg,
Pays-Bas, RFA. Pour la première fois, des gouvernements
délèguent une partie de
leur souveraineté à une autorité
indépendante des États. La Communauté
économique du charbon et de l’acier constitue le premier
marché commun limité à
la production du charbon et de l'acier. Cette institution est la
première
organisation européenne à vocation fédérale
(le Royaume-Uni refuse d’y adhérer
par opposition à l’idée de
supranationalité). C’est la matrice de la future
Europe. Signé pour 50 ans, le traité CECA a expiré
en 2002.
5/ La
question du réarmement de l’Allemagne
Le projet de
Communauté européenne de défense (CED) est
l’application au domaine militaire des
principes de la CECA. Le traité de Paris est signé le 27
mai 1952 et adopté par
les gouvernements des six pays de la CECA, dont la RFA. La CED devait
être
placée sous tutelle de l’OTAN. La CED prévoyait par
ailleurs une communauté
politique européenne de nature supranationale. Mais la CED est
repoussée en
1954 par le Parlement français.
6/
L’intégration de l’Allemagne dans l’UEO
L’Allemagne est
intégrée en octobre 1954 dans l’Union occidentale
qui devient l’Union
de l’Europe Occidentale (UEO), puis au sein de l’OTAN
en mai 1955. L’UEO,
seule organisation strictement européenne compétente en
matière de défense, est
mise à l'écart.
Conséquences
politiques et institutionnelles
L’échec de la
CED aura pour conséquence le gel des tentatives
d’intégration politique au profit
de la voie économique. Le
traité de Rome entre en vigueur le 1er janvier 1958 et institue
la Communauté
économique européenne et la Communauté
européenne de l’énergie atomique
(Euratom).
En 1965, les institutions de la CECA, CEE,
Euratom
fusionnent. La
construction européenne est marquée par
l’alternance de projets de caractère
fédéraliste et de projets de coopération
intergouvernementale. Le sommet
européen de La Haye des 1er et 2 décembre 1969 relance la
construction
européenne et donne naissance à la coopération
politique européenne qui, sur le
mode d’un processus intergouvernemental, permet aux Etats membres
d’adopter des
positions communes en matière de politique
étrangère.
Durant les
années 70 et après quelques années de
fonctionnement des institutions
européennes, les premières réflexions sur les
réformes institutionnelles à
entreprendre prennent naissance. On peut citer par exemple le rapport
du
Premier ministre belge Léo Tindemans qui constatait
l’absence de séparation
entre l’exécutif et le législatif.
Le débat
politique a toujours opposé les tenants d’une
fédération, avec par exemple la
Communauté européenne de défense, et ceux
d’une confédération, avec le plan
Fouchet pour une Europe des Etats.
Ce n’est qu’au
début des années 80 que des projets d’origine
gouvernementale comme le plan
Genscher-Colombo, ou parlementaire comme le projet Spinelli tenteront
de
relancer la construction communautaire. Le projet Spinelli,
le premier traité
constitutionnel dans l'histoire de l'Europe, un projet de traité instituant l'Union européenne, est adopté par le Parlement européen le 14
février 1984. Mais il est
écarté au
profit d’une voie purement économique, l’Acte
Unique, un traité adopté sans débat et en toute
opacité (voir le livre d'Aquilino Morelle, L'opium des
élites) sous la présidence de Jacques Delors (le livre blanc du
commissaire européen très thatchérien Lord
Cockfield), avec l'influence de la Table ronde des industriels
européens (ERT). En 1985, la Commission
transmet au Conseil un livre blanc sur l’achèvement du
marché intérieur d’ici à
1992. Ces initiatives donneront naissance à l’Acte unique.
Signé en février
1986, entré en vigueur le 1er juillet 1987, sur la base
exclusive du principe
de concurrence, l’Acte unique
donne une orientation purement économique et financière avec la libre circulation des capitaux (1990) et la
réalisation d’un grand marché
intérieur (31 décembre
1992). Il étend les pouvoirs du Parlement en
introduisant la procédure de coopération qui lui permet,
dans certains domaines,
d’amender ou de rejeter la position du Conseil, ce dernier ayant
toutefois la
possibilité de passer outre l’avis du Parlement par un
vote à l’unanimité. Il
laisse une moindre place au processus intergouvernemental en
introduisant la
règle de la majorité qualifiée à la place
de l’unanimité. Depuis l’Acte unique,
la plupart des décisions nécessaires à la
réalisation du marché intérieur sont
prises à la majorité qualifiée,
l’unanimité étant réservée à
des domaines clés
tels que la fiscalité, l’adhésion d’un nouvel
Etat ou la modification d’un
traité. Cette réforme institutionnelle est en partie une
conséquence de
l’élargissement de la Communauté à la
Grèce (1981), puis à l’Espagne et au
Portugal (1986).
Sur l’initiative
franco-allemande, le traité de Maastricht se négocie et
s’élabore entre le
Conseil européen de Strasbourg (8 et 9 décembre 1989) et
celui de Maastricht (9
et 10 décembre 1991). Il faut rappeler que le peuple danois
s’est prononcé
contre le Traité de Maastricht le 2 juin 1992, mais fut
invité à revoter
pour, le 18 mai 1993, après avoir obtenu plusieurs
dérogations afin de ne pas
participer à l'euro, à l'Europe de la défense et
à une bonne partie de la
politique de justice, d'asile et d'immigration.
La juxtaposition
des deux logiques supranationale et intergouvernementale se retrouve
dans le
traité de Maastricht. Entré en vigueur le premier
novembre 1993, il apporte une
réforme limitée aux institutions européennes. Il
élargit les compétences de la
Communauté et ouvre de nouveaux domaines de coopération.
Le cœur du traité
concerne l’Union économique et monétaire avec la
mise en place de la Banque centrale
européenne. Le traité de
Maastricht donne naissance à une Union européenne qui
rassemble trois
piliers : les trois Communautés forment le premier, les
deux autres,
d’essence intergouvernementale, comprennent d’une part la coopération
en matière de politique étrangère et de
défense, et d’autre part la coopération policière
et
judiciaire.
La Communauté
européenne perd son qualificatif d’économique en
raison de l’extension de ses
compétences au niveau social et écologique. S’y
rattachent la CECA et
l’Euratom, l’Union économique et monétaire et
un volet social. L’essence de ce
premier pilier est de nature communautaire mais avec une juxtaposition
interne
entre les deux logiques supranationale et intergouvernementale car le
dialogue
entre la Commission et le Conseil n’est pas modifié. La
Cour de justice
n’intervient que dans le cadre du premier pilier du traité
de Maastricht.
Les deux autres
piliers, la politique étrangère et de
sécurité commune (la PESC prend le relais
de la Coopération politique européenne née en 1970
et institutionnalisée par
l’Acte unique) ainsi que la coopération en matière
judiciaire et policière,
annoncent à terme une réelle union politique mais elles
sont toutes deux régies
par une procédure intergouvernementale. Le Conseil s’en
tient aux orientations
générales du Conseil européen et la Commission est
seulement associée aux
travaux. Le Parlement européen n’a aucun pouvoir, il est
simplement informé et
peut poser des questions ou formuler des recommandations à
l’intention du
Conseil.
L’Autriche, la
Suède et la Finlande adhèrent à la
Communauté le premier janvier 1995. Pour
faire face à la perspective du grand élargissement
à l'Europe centrale, cette
partie de l’Europe naguère sous le joug du communisme, on
tente de réformer les
institutions européennes. Mais la conférence
intergouvernementale prévue à cet
effet échoue et le traité d'Amsterdam du 19 juin 1997
n'apporte que peu de
modifications au fonctionnement des institutions. Le conseil
européen
d'Helsinki de décembre 1999 a clairement annoncé la
perspective proche d'une
Europe à 30 ou 35 Etats membres.
Comme pour
Maastricht, le traité ne fut pas d’emblée
ratifié par les quinze en raison du
refus du peuple irlandais consulté par référendum.
L’Irlande fut invitée à se
prononcer à nouveau sur le traité de Nice et le oui
l’emporta au second
referendum du 19 octobre 2002. Le traité de Nice est donc
entré en vigueur le
premier février 2003, les changements institutionnels
prévus par le traité de Nice
prenant concrètement effet en novembre 2004.
Comme pour Amsterdam, le traité de Nice de décembre 2000 débouche sur un échec car il tente d’apporter des réformes techniques sans remédier au déficit démocratique. Ainsi, la structure en trois piliers reste inchangée. Une Charte des droits fondamentaux est proclamée, visant à renforcer la protection des droits fondamentaux, mais son intérêt reste limité en raison de l’existence de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme. Au Conseil, la majorité qualifiée est relevée à près de 72 %. Une mesure adoptée doit être approuvée par une majorité d’États avec au moins 62 % de la population de l’Union. Le traité de Nice apporte une extension du vote à la majorité qualifiée. La taille du Parlement européen a été augmentée (732 députés) et la représentation allemande accentuée (27 députés en plus), malgré le précédent du Conseil européen d'Edimbourg qui avait déjà accordé 12 députés allemands supplémentaires pour tenir compte de la réunification. Le Parlement européen voit une extension de ses pouvoirs (système de co-décision).
L'Europe connait une crise économique
depuis la première moitié des années 1980. Pour
tenter de relancer une croissance atone, le projet de directive Bolkestein a été
élaborée après le Conseil
européen de Lisbonne en 2000 avec l'accord des chefs
d'États et de gouvernements (Jospin et Chirac pour la France),
le Parlement européen l'a adoptée en 2003, la Commission
européenne en 2004 («
proposition de directive du
Parlement Européen et du Conseil relative aux services dans le
marché intérieur », présentée par la Commission
le 13/01/2004) ainsi que les tous les chefs d'Etats et de gouvernements. Il faut rappeler que ce projet de
directive s'inscrit dans la lignée du PET créé en 1998 et du
mandat du Conseil
pour relancer l'AGCS en 1999, avec un but
commun : une libéralisation complète du marché.
Une nouvelle
échéance est apparue en 2004 avec
l’élargissement à dix nouveaux membres.
Les travaux de la Convention adoptés lors du sommet
européen du 20 juin 2003
ont fait l’objet d'âpres négociations entre les
gouvernements
réunis en CIG,
d’octobre 2003 à mai 2004. A l’ouverture de
la CIG en octobre 2003, dix-sept pays sur vingt-cinq ont
manifesté leurs
désaccords sur le texte de la Convention. Les problèmes
institutionnels posés
depuis 1996 ne sont toujours pas résolus après
l’échec du Conseil européen de
décembre 2003 sur la Convention européenne, échec
largement prévisible du fait
de l’absence d’une réflexion préalable sur la
finalité de la construction
européenne. Bien au contraire, à Nice comme en
décembre 2003 pour la
Convention, les intérêts et les égoïsmes
nationaux ont occupé le devant de la
scène. Finalement, le 18 juin 2004, la Constitution a
été adoptée par les 25.
Le traité établissant une Constitution pour l'Europe a été signée à Rome le 29 octobre 2004 par les 25 dirigeants de l'UE dans un contexte de crise ouverte par le retrait de la composition de la nouvelle Commission Barroso, menacée de censure par le Parlement européen. Après le refus par la France et les Pays Bas en 2005, un traité similaire, le traité de Lisbonne, est entré en vigueur le 1er décembre 2009. Elaboré dans le droit fil de la pensée unique sociale-libérale, ce traité ne tient pas compte de la volonté des peuples, ni de l'identité européenne, et entretient l'impasse dans laquelle l'Europe est enlisée. Qui plus est, le départ du Royaume-Uni pose avec acuité la question de la finalité de la construction européenne.
Les
trois grandes phases de la construction européenne
Si
l'on replace l'histoire de la construction européenne dans son
climat politique
et idéologique, on peut en dégager trois grandes
phases :
1. La
première, des origines à la fin des années 1970,
dans le cadre du conflit
gauche / droite
2. La
seconde, du début des années 1980 à la naissance
de l’euro, dans le cadre du
social-libéralisme
3. La
troisième débute avec la préparation au grand
élargissement à l'est et
l’expiration du traité CECA
La première période est marquée sur le plan politique par une opposition entre la droite et la gauche, l’affrontement entre différentes modalités de la construction européenne, et l’élaboration définitive du triangle institutionnel avec la première élection du Parlement européen au suffrage universel en 1979.
Le début des
années 1980 est marqué par la fin de l’opposition
gauche – droite et l’entrée
dans l’ère du social-libéralisme. Nous entrons dans
la seconde période avec les
grands chantiers économiques que les convergences entre la
droite et la gauche
permettent de réaliser. En 1986, les négociations du GATT
s’élargissent à de
nouveaux secteurs dont les services et l’investissement.
L’Acte unique et le
traité de Maastricht vont sacraliser le principe de concurrence.
En juin 1985, le livre blanc sur l’achèvement du
marché intérieur fixe
l'objectif de réaliser un marché unique d'ici fin 1992.
L’Acte unique entre en
vigueur le premier juillet 1987, le traité de Maastricht
le premier
novembre 1993, peu de temps après la réalisation du
marché unique au
premier janvier 1993. Maastricht s’inscrit dans le cadre du
nouvel ordre
mondial : Nord contre Sud, social - libéralisme contre national
communisme ou
repli nationaliste, « civilisés » contre
« barbares ». La
guerre dans les Balkans débutera durant les négociations
de Maastricht. Le
traité de Maastricht prévoie création de la Banque
centrale européenne, et
celle-ci sera effective au premier janvier 1999, date de la naissance
de
l'euro.
L'élargissement à l’Europe de l’est, à l’ex-Europe communiste, constitue un bouleversement majeur puisque jusqu’alors, l’Europe s’était construite sous la menace du communisme. En 2004, 10 pays sont entrés dans l'UE : l'Estonie, la Lituanie, la Lettonie, la Pologne, la République Tchèque, la Slovaquie, la Hongrie, la Slovénie, Malte, et Chypre. La Roumanie et la Bulgarie sont entrées en 2007, et la Croatie en 2013. Quant au Royaume Uni, il se retire en 2020. Les élargissements successifs ont été menés sans approfondissement préalable des institutions européennes. Le rapport de la commission politique du Parlement européen sur l'élargissement de la Communauté Européenne (26 mars 1991) recommandait pourtant de renforcer les institutions et de mener un élargissement limité afin de ne pas nuire à la cohésion de la Communauté. Avec l'intégration de territoires où domine la famille communautaire exogame, deux voies étaient envisageables :
convertir ces nouveaux territoires au néo-libéralisme, ou s'engager dans une remise en question de ce néo-libéralisme, accompagner la troisième mutation, opérer une réconciliation entre Pologne, Pays Baltes et Russie.
On peut également présenter l'histoire de la construction européenne depuis le tournant qui s'opère en France en 1973 :
- abandon de la maîtrise de la monnaie par l'Etat français en 1973 (Pierre-Yves Rougeyron, Enquête sur la loi du 3 janvier 1973),
- orientation vers un libre-échangisme dogmatique depuis 1974 sous l'influence du Tokyo Round et de l'Uruguay Round fais ant disparaître la notion de préférence communautaire,
- alliance de la Commission européenne avec les multinationales depuis 1982,
- refus du projet Spinelli (1984) au profit de l'Acte Unique (1986) pour promouvoir le néolibéralisme, la déréglementation financière, et la libération des mouvements de capitaux (1990),
- les traités depuis Maastricht amplifient la doctrine néolibérale et accentue le travail de sape contre les nations.
En occultant le débat sur la finalité de l'Europe, en occultant l'identité européenne, en ignorant la troisième mutation, en soutenant une globalisation économique à l'anglo-saxonne, l'Europe s'isole en participant à l'échelle mondiale à la création d'un nouveau clivage : Etats-Unis, Europe, Royaume-Uni et Australie (avec le versant militaire de l'OTAN et de l'Aukus) d'un côté, contre les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), l'Organisation de coopération de Shanghai et l'Union économique eurasienne.
Construire
l’Europe en accord avec sa finalité
Contrairement à la logique, on a construit une Europe économique centrée sur l'union économique et monétaire (avec la banque centrale et l'euro) pour éventuellement envisager secondairement une intégration politique et initier un débat sur la finalité de la construction européenne. D'où le décalage entre une certaine réussite économique initialement et l'échec politique qui a permis l'éclosion et l'enracinement d'une guerre sur le sol européen, en ex Yougoslavie, entre 1991 et 1999. La sécurité constituait pourtant un objectif majeur pour les pères fondateurs de l'Europe. De ce point de vue, la construction européenne a échoué. Elle a d'autant plus échoué qu'en ce qui concerne le conflit du Kosovo, une guerre prévisible, prévue près de dix ans à l'avance, s'est déclarée, et l'Europe s'est montrée ensuite impuissante pour y faire face. La problématique est similaire avec l'Ukraine. Ainsi abordé avec recul, l’échec des réformes institutionnelles tient fondamentalement à la séparation artificielle entre l'aspect technique de la réforme et le projet fondateur sous-jacent qui est délibérément ignoré. Si l'on considère donc cet échec, il est évident que l'on ne peut démarrer ce chantier de la réforme institutionnelle sans aborder préalablement le sens et la finalité de la construction européenne. En confinant la construction européenne à des objectifs économiques détachés de toute vision globale, on a réservé le débat européen à une élite. Le succès de l'Europe dépend essentiellement du soutien des peuples qui la constitue. Et pour obtenir ce soutien, on ne peut se contenter de la création d'une monnaie unique.
A
l'aube du XXIème siècle,
l'Europe sort des balbutiements de son enfance. Le temps est venu de
revenir
sur ce qui constitue le projet fondateur de l'Europe et sa finalité, pour ensuite définir
les réformes institutionnelles
qui s'imposent
afin de mener à bien la construction européenne en
référence à ce projet
fondateur.
Afin
d'élaborer un véritable projet fondateur, il nous faut
tout d'abord comprendre
ce que signifie symboliquement l'élargissement de l'Europe
à sa partie
centro-orientale. Il faut également replacer ce chantier dans le
cadre de la
période de mutation que nous
connaissons depuis le
début du XXème siècle.
L'Europe
a connu jusqu'à présent trois grandes mutations dans son
histoire. La première mutation
correspond à la période Axiale,
entre -600 et -300 (L. Mumford et K. Jaspers) marquée par ses
innovations
socio-politiques, son développement artistique et
philosophique. La seconde mutation a
débuté autour du Schisme d'Occident
pour connaître son apogée avec le scientisme. Nous vivons
l'apparition d'une troisième mutation
depuis que
le scientisme est
fortement remis en question par la physique quantique. Ces trois
mutations
s'inscrivent dans le cadre d'un processus que l'appellerai, en
référence à la
psychanalyse jungienne et au processus d'individuation, le processus
d'individuation européen. Ce dernier constitue le schéma
d'organisation, le fondement de
l'Europe. La construction
européenne ne peut être viable que si elle
parachève le processus
d'individuation européen. Mais au lieu de s'engager dans cette
voie, l'Europe reste prisonnière de l'idéologie de la
seconde mutation, dans l'affrontement entre les opposés,
l'hyperlibéralisme contre la Russie, le modèle occidental
contre les BRICS.