LA CONSTRUCTION EUROPÉENNE

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De nombreux projets d'organisation de l'Europe naissent tout au long de son histoire, plus particulièrement à partir du XVIIIème siècle (Abbé Saint Pierre, Kant, Bluntschli...) mais le premier projet d'union européenne d'origine gouvernementale  émane d'Aristide Briand dans son discours du 5 septembre 1929. Ce dernier s'inscrit dans la lignée de l'action de Richard Coudenhove-Kalergi (Pan-Europe est publié en 1923) et du protocole de Genève de 1924 (prééminence du droit avec l'arbitrage par une cour de justice de tout différend entre Etat).

Les raisons de la construction européenne

Au début du XXème siècle, l’Europe incarne la toute puissance et est à son apogée. En 1945, elle vit dans la peur et l’impuissance.

1/ La volonté de pacification du continent par la coopération

L’Europe est le premier modèle dans l’histoire d’une association d’Etats qui décident de collaborer et d’œuvrer pour un intérêt commun. Cette association librement choisie marque une rupture fondamentale dans l’histoire de l’Europe qui pendant plusieurs siècles a été constamment un champ de bataille entre de grandes puissances rivalisant pour assurer leur hégémonie, que ce soit au nom d’intérêts économiques, d’une idéologie religieuse ou politique. C’est également la première fois dans l’histoire qu’une orientation vers une voie fédérale est envisagée après l’échec des diverses solutions confédérales, depuis l’équilibre européen des XVIIème et XVIIIème siècles, en passant par la Société des nations et l’Organisation des Nations-unies au niveau mondial. Churchill appelle le 19 septembre 1946 à des Etats-Unis d'Europe (mais cela concerne dans sa pensée le continent exclusivement). L'Union européenne des fédéralistes est créée peu après.

Du 7 au 10 mai 1948, quelques 800 personnalités favorables à l’unification européenne se réunissent au congrès de La Haye (le mouvement européen en sera issu). La France défend l’idée d’un pouvoir supranational issu d’une Assemblée élue au suffrage universel. Le Royaume-Uni s’y oppose et ne veut pas aller au-delà d’une simple négociation intergouvernementale au sein d’un Conseil de ministres où l’unanimité serait la règle. Finalement, la structure du Conseil de l’Europe créé le 5 mai 1949 à la suite de ce congrès est de nature intergouvernementale avec un Comité des ministres qui statue à l’unanimité, et une simple assemblée consultative désignée par les Parlements nationaux. Le compromis adopté était donc proche des thèses britanniques.

  2/ La reconstruction économique

La fin de la deuxième guerre mondiale laisse une Europe dévastée et coupée en deux. Pour reconstruire le continent, le stabiliser et en faire un îlot de paix et de prospérité, les Etats prennent conscience de la nécessité d’œuvrer ensemble. Mais toutes les économies européennes sont exsangues. Pour distribuer l’aide du plan Marshall (juin 1947), la Grande-Bretagne au bord de la faillite ne pouvant assumer ce rôle, les Etats-Unis inciteront les européens à créer le 16 avril 1948 une organisation intergouvernementale, l’Organisation européenne de coopération économique (OECE, qui deviendra plus tard l’OCDE) tout en demandant l'abaissement des barrières douanières.

3/ La menace soviétique

La France et la Grande Bretagne signent le traité de Dunkerque le 4 mars 1947, afin de faire face à une éventuelle menace allemande. Mais la menace soviétique va supplanter la crainte de l’Allemagne. L’URSS rejette le plan Marshall et contraint la Pologne et la Tchécoslovaquie à suivre la même voie. Peu après le coup de Prague en février 1948, la France, la Grande-Bretagne, et les pays du Benelux signent à Bruxelles, le 17 mars 1948, un traité de défense collective, l’Union occidentale.

L’URSS établit le blocus de Berlin de juin 1948 à mai 1949. L'American Committee for United Europe (ACUE) est créé en janvier 1949 : face à la menace soviétique, les Etats-Unis soutiennent alors dans un premier temps une politique d'intégration européenne. Dans la foulée, l’OTAN sera créée en avril 1949, et placée sous commandement américain. L'URSS fait exploser sa bombe atomique en août 1949. La guerre de Corée éclate en 1950 dans le climat de guerre froide. 

4/ La réconciliation franco-allemande.

Le traité de Paris (1951) organise la mise en commun de la production et la consommation du charbon et de l’acier entre 6 pays : Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, RFA. Pour la première fois, des gouvernements délèguent une partie de leur souveraineté à une autorité indépendante des États. La Communauté économique du charbon et de l’acier constitue le premier marché commun limité à la production du charbon et de l'acier. Cette institution est la première organisation européenne à vocation fédérale (le Royaume-Uni refuse d’y adhérer par opposition à l’idée de supranationalité). C’est la matrice de la future Europe. Signé pour 50 ans, le traité CECA a expiré en 2002. 

5/ La question du réarmement de l’Allemagne

Le projet de Communauté européenne de défense (CED) est l’application au domaine militaire des principes de la CECA. Le traité de Paris est signé le 27 mai 1952 et adopté par les gouvernements des six pays de la CECA, dont la RFA. La CED devait être placée sous tutelle de l’OTAN. La CED prévoyait par ailleurs une communauté politique européenne de nature supranationale. Mais la CED est repoussée en 1954 par le Parlement français.

6/ L’intégration de l’Allemagne dans l’UEO

L’Allemagne est intégrée en octobre 1954 dans l’Union occidentale qui devient l’Union de l’Europe Occidentale (UEO), puis au sein de l’OTAN en mai 1955. L’UEO, seule organisation strictement européenne compétente en matière de défense, est mise à l'écart.

Conséquences politiques et institutionnelles

L’échec de la CED aura pour conséquence le gel des tentatives d’intégration politique au profit de la voie économique. Le traité de Rome entre en vigueur le 1er janvier 1958 et institue la Communauté économique européenne et la Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom).

En 1965, les institutions de la CECA, CEE, Euratom fusionnent. La construction européenne est marquée par l’alternance de projets de caractère fédéraliste et de projets de coopération intergouvernementale. Le sommet européen de La Haye des 1er et 2 décembre 1969 relance la construction européenne et donne naissance à la coopération politique européenne qui, sur le mode d’un processus intergouvernemental, permet aux Etats membres d’adopter des positions communes en matière de politique étrangère.

Durant les années 70 et après quelques années de fonctionnement des institutions européennes, les premières réflexions sur les réformes institutionnelles à entreprendre prennent naissance. On peut citer par exemple le rapport du Premier ministre belge Léo Tindemans qui constatait l’absence de séparation entre l’exécutif et le législatif.

Le débat politique a toujours opposé les tenants d’une fédération, avec par exemple la Communauté européenne de défense, et ceux d’une confédération, avec le plan Fouchet pour une Europe des Etats.

Ce n’est qu’au début des années 80 que des projets d’origine gouvernementale comme le plan Genscher-Colombo, ou parlementaire comme le projet Spinelli tenteront de relancer la construction communautaire. Le projet Spinelli, le premier traité constitutionnel dans l'histoire de l'Europe, un projet de traité instituant l'Union européenne, est adopté par le Parlement européen le 14 février 1984. Ce projet introduit en particulier le principe de subsidiarité sous sa forme ascendante. Mais il  est écarté au profit d’une voie purement économique, l’Acte Unique, un traité adopté sans débat et en toute opacité (voir le livre d'Aquilino Morelle, L'opium des élites) sous la présidence de Jacques Delors (le livre blanc du commissaire européen très thatchérien Lord Cockfield ), avec l'influence de la Table ronde des industriels européens (ERT). En 1985, la Commission transmet au Conseil un livre blanc sur l’achèvement du marché intérieur d’ici à 1992. Ces initiatives donneront naissance à l’Acte unique. Signé en février 1986, entré en vigueur le 1er juillet 1987, sur la base exclusive du principe de concurrence, l’Acte unique donne une orientation purement économique et financière avec la libre circulation des capitaux (1990) et la réalisation d’un grand marché intérieur (31 décembre 1992). Il étend les pouvoirs du Parlement en introduisant la procédure de coopération qui lui permet, dans certains domaines, d’amender ou de rejeter la position du Conseil, ce dernier ayant toutefois la possibilité de passer outre l’avis du Parlement par un vote à l’unanimité. Il laisse une moindre place au processus intergouvernemental en introduisant la règle de la majorité qualifiée à la place de l’unanimité. Depuis l’Acte unique, la plupart des décisions nécessaires à la réalisation du marché intérieur sont prises à la majorité qualifiée, l’unanimité étant réservée à des domaines clés tels que la fiscalité, l’adhésion d’un nouvel Etat ou la modification d’un traité. Cette réforme institutionnelle est en partie une conséquence de l’élargissement de la Communauté à la Grèce (1981), puis à l’Espagne et au Portugal (1986).

Sur l’initiative franco-allemande, le traité de Maastricht se négocie et s’élabore entre le Conseil européen de Strasbourg (8 et 9 décembre 1989) et celui de Maastricht (9 et 10 décembre 1991). Il faut rappeler que le peuple danois s’est prononcé contre le Traité de Maastricht le 2 juin 1992, mais fut invité à revoter pour, le 18 mai 1993, après avoir obtenu plusieurs dérogations afin de ne pas participer à l'euro, à l'Europe de la défense et à une bonne partie de la politique de justice, d'asile et d'immigration.

La juxtaposition des deux logiques supranationale et intergouvernementale se retrouve dans le traité de Maastricht. Entré en vigueur le premier novembre 1993, il apporte une réforme limitée aux institutions européennes. Il élargit les compétences de la Communauté et ouvre de nouveaux domaines de coopération. Le cœur du traité concerne l’Union économique et monétaire avec la mise en place de la Banque centrale européenne. Le traité de Maastricht donne naissance à une Union européenne qui rassemble trois piliers : les trois Communautés forment le premier, les deux autres, d’essence intergouvernementale, comprennent d’une part la coopération en matière de politique étrangère et de défense, et d’autre part la coopération policière et judiciaire.

La Communauté européenne perd son qualificatif d’économique en raison de l’extension de ses compétences au niveau social et écologique. S’y rattachent la CECA et l’Euratom, l’Union économique et monétaire et un volet social. L’essence de ce premier pilier est de nature communautaire mais avec une juxtaposition interne entre les deux logiques supranationale et intergouvernementale car le dialogue entre la Commission et le Conseil n’est pas modifié. La Cour de justice n’intervient que dans le cadre du premier pilier du traité de Maastricht. Enfin, contrairement au Traité Spinelli, le traité de Maastricht introduit le principe de subsidiarité sous sa forme descendante.

Les deux autres piliers, la politique étrangère et de sécurité commune (la PESC prend le relais de la Coopération politique européenne née en 1970 et institutionnalisée par l’Acte unique) ainsi que la coopération en matière judiciaire et policière, sont toutes deux régies par une procédure intergouvernementale. Le Conseil s’en tient aux orientations générales du Conseil européen et la Commission est seulement associée aux travaux. Le Parlement européen n’a aucun pouvoir, il est simplement informé et peut poser des questions ou formuler des recommandations à l’intention du Conseil. En réalité, l'Union eurtpéenne n'a pas de politique étrangère, et elle est sous la dépendance de l'OTAN.

L’Autriche, la Suède et la Finlande adhèrent à la Communauté le premier janvier 1995. Pour faire face à la perspective du grand élargissement à l'Europe centrale, cette partie de l’Europe naguère sous le joug du communisme, on tente de réformer les institutions européennes. Mais la conférence intergouvernementale prévue à cet effet échoue et le traité d'Amsterdam du 19 juin 1997 n'apporte que peu de modifications au fonctionnement des institutions. Le conseil européen d'Helsinki de décembre 1999 a clairement annoncé la perspective proche d'une Europe à 30 ou 35 Etats membres. 

Comme pour Maastricht, le traité ne fut pas d’emblée ratifié par les quinze en raison du refus du peuple irlandais consulté par référendum. L’Irlande fut invitée à se prononcer à nouveau sur le traité de Nice et le oui l’emporta au second referendum du 19 octobre 2002. Le traité de Nice est donc entré en vigueur le premier février 2003, les changements institutionnels prévus par le traité de Nice prenant concrètement effet en novembre 2004.

Comme pour Amsterdam, le traité de Nice de décembre 2000 débouche sur un échec car il tente d’apporter des réformes techniques sans remédier au déficit démocratique. Ainsi, la structure en trois piliers reste inchangée. Une Charte des droits fondamentaux est proclamée, visant à renforcer la protection des droits fondamentaux,  mais son intérêt reste limité en raison de l’existence de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme. Au Conseil, la majorité qualifiée est relevée à près de 72 %.  Une mesure adoptée doit être approuvée par une majorité d’États avec au moins 62 % de la population de l’Union.  Le traité de Nice apporte une extension du vote à la majorité qualifiée. La taille du Parlement européen a été augmentée (732 députés) et la représentation allemande accentuée (27 députés en plus), malgré le précédent du Conseil européen d'Edimbourg qui avait déjà accordé 12 députés allemands supplémentaires pour tenir compte de la réunification. Le Parlement européen voit une extension de ses pouvoirs (système de co-décision). 

L'Europe connaît une crise économique depuis la première moitié des années 1980. Pour tenter de relancer une croissance atone, le projet de directive Bolkestein a été élaborée après le Conseil européen de Lisbonne en 2000 avec l'accord des chefs d'États et de gouvernements (Jospin et Chirac pour la France), le Parlement européen l'a adoptée en 2003, la Commission européenne en 2004 (proposition de directive du Parlement Européen et du Conseil relative aux services dans le marché intérieur, présentée par la Commission le 13/01/2004) ainsi que les tous les chefs d'Etats et de gouvernements. Il faut rappeler que ce projet de directive s'inscrit dans la lignée du PET créé en 1998 et du mandat du Conseil pour relancer l'AGCS en 1999, avec un but commun : une libéralisation complète du marché.

Une nouvelle échéance est apparue en 2004 avec l’élargissement à dix nouveaux membres. Les travaux de la Convention adoptés lors du sommet européen du 20 juin 2003 ont fait l’objet d'âpres négociations entre les gouvernements réunis en CIG, d’octobre 2003 à mai 2004. A l’ouverture de la CIG en octobre 2003, dix-sept pays sur vingt-cinq ont manifesté leurs désaccords sur le texte de la Convention. Les problèmes institutionnels posés depuis 1996 ne sont toujours pas résolus après l’échec du Conseil européen de décembre 2003 sur la Convention européenne, échec largement prévisible du fait de l’absence d’une réflexion préalable sur la finalité de la construction européenne. Bien au contraire, à Nice comme en décembre 2003 pour la Convention, les intérêts et les égoïsmes nationaux ont occupé le devant de la scène. Finalement, le 18 juin 2004, la Constitution a été adoptée par les 25. 

Le traité établissant une Constitution pour l'Europe a été signée à Rome le 29 octobre 2004 par les 25 dirigeants de l'UE dans un contexte de crise ouverte par le retrait de la composition de la nouvelle Commission Barroso, menacée de censure par le Parlement européen. Malgré le refus par la France et les Pays Bas en 2005, un traité similaire, le traité de Lisbonne, est entré en vigueur le 1er décembre 2009. Elaboré dans le droit fil de la pensée unique sociale-libérale, ce traité ne tient pas compte de la volonté des peuples, ni de l'identité européenne, et entretient l'impasse dans laquelle l'Europe est enlisée. Qui plus est, le départ du Royaume-Uni pose avec acuité la question de la finalité de la construction européenne.

 
Les trois grandes phases de la construction européenne

Si l'on replace l'histoire de la construction européenne dans son climat politique et idéologique, on peut en dégager trois grandes phases :  

1.    La première, des origines à la fin des années 1970, dans le cadre du conflit gauche / droite

2.    La seconde, depuis le rejet du projet Spinelli en 1984 à la naissance de l’euro, dans le cadre du social-libéralisme

3.    La troisième débute avec la préparation au grand élargissement à l'est et l’expiration du traité CECA

La première période est marquée sur le plan politique par une opposition entre la droite et la gauche, l’affrontement entre différentes modalités de la construction européenne, et l’élaboration définitive du triangle institutionnel avec la première élection du Parlement européen au suffrage universel en 1979.

De 1958 à 1966, la Commission a tenté d’étendre son pouvoir afin de renforcer les institutions supranationales et ceci sera l’un des contentieux à l’origine de la crise de juin 1965 (crise de la « chaise vide ») lorsque la France refusa de siéger à Bruxelles. Avec le compromis de Luxembourg qui garantit la règle de l’unanimité, les rapports de force entre les deux options ont tourné à l’avantage du clan intergouvernemental. Celui-ci pouvait être d’autant plus dominant que le clan supranational était lui-même divisé par un clivage interne avec l’opposition entre la droite et la gauche. Les Etats avaient le dernier mot et l’Europe se construisait sur le principe de la préférence communautaire. La Commission a donc adopté un profil bas de 1966 jusqu’en 1985.

L’arrivée de Jacques Delors à la présidence de la Commission européenne en 1985 a coïncidé avec la détente progressive entre l’Est et l’Ouest, et la disparition du classique clivage gauche-droite, les deux camps menant dans presque toute l’Europe une même politique néo-libérale depuis le début ou le milieu des années 80. Le clan supranational et libre-échangiste se retrouvait donc renforcé. La Commission affiche depuis une doctrine libre-échangiste. Avec l’Acte unique, la règle de l’unanimité disparaît au profit de la majorité qualifiée.

Le milieu des années 1980 est donc marqué par la fin de l’opposition gauche - droite et l’entrée dans l’ère du social-libéralisme. Nous entrons dans la seconde période avec les grands chantiers économiques que les convergences entre la droite et la gauche permettent de réaliser. En 1986, les négociations du GATT s’élargissent à de nouveaux secteurs dont les services et l’investissement. L’Acte unique et le traité de Maastricht vont sacraliser le principe de concurrence. En juin 1985, le livre blanc sur l’achèvement du marché intérieur fixe l'objectif de réaliser un marché unique d'ici fin 1992. L’Acte unique entre en vigueur le premier juillet 1987,  le traité de Maastricht le premier novembre 1993, peu de temps après la réalisation du  marché unique au premier janvier 1993. Maastricht s’inscrit dans le cadre du nouvel ordre mondial : Nord contre Sud, social - libéralisme contre national communisme ou repli nationaliste, « civilisés » contre « barbares ». La guerre dans les Balkans débutera durant les négociations de Maastricht. Le traité de Maastricht prévoie création de la Banque centrale européenne, et celle-ci sera effective au premier janvier 1999, date de la naissance de l'euro.

L'élargissement à l’Europe de l’est, à l’ex-Europe communiste, constitue un bouleversement majeur puisque jusqu’alors, l’Europe s’était construite sous la menace du communisme. En 2004, 10 pays sont entrés dans l'UE : l'Estonie, la Lituanie, la Lettonie, la Pologne, la République Tchèque, la Slovaquie, la Hongrie, la Slovénie, Malte, et Chypre. La Roumanie et la Bulgarie sont entrées en 2007, et la Croatie en 2013. Quant au Royaume-Uni, il se retire en 2020.  Les élargissements successifs ont été menés sans approfondissement préalable des institutions européennes.  Le rapport de la commission politique du Parlement européen sur l'élargissement de la Communauté Européenne (26 mars 1991) recommandait pourtant de renforcer les institutions et de mener un élargissement limité afin de ne pas nuire à la cohésion de la Communauté. Avec l'intégration de territoires où domine la famille communautaire exogame, on a voulu convertir ces nouveaux territoires au néo-libéralisme, au lieu de s'engager dans une remise en question de ce néo-libéralisme, d'accompagner la troisième mutation, de prendre en compte l'identité européenne avec ses 4 composantes (les 4 types familiaux exogames) d'opérer une réconciliation entre l'Europe et la Russie. Avec les ressentiments de la Pologne et des Pays Baltes contre l'Union soviétique, les élargissements successifs ont conduit à une destruction une perte de sens. Au lieu de construire un modèle spécifique en accord avec l'identité européenne, on a voulu modeler l'Europe sur un modèle anglo-saxon (en lien avec la famille nucléaire absolue) tout en tentant de convertir la Russie à ce même modèle, et à la combattre du fait du refus de la Russie à renier son propre logiciel, celui de la famille communautaire exogame (et une orientation politique vers un régime autoritaire).

On peut présenter le processus de la déconstruction européenne sur une période allant de 1973 à 2005 : 

- abandon de la maîtrise de la monnaie par l'Etat français en 1973 (Pierre-Yves Rougeyron, Enquête sur la loi du 3 janvier 1973), 

- orientation vers un libre-échangisme dogmatique depuis 1974 sous l'influence du Tokyo Round et de l'Uruguay Round faisant disparaître la notion de préférence communautaire, 

- alliance de la Commission européenne avec les multinationales depuis 1982, 

- atteintes successives à la démocratie avec le refus de prendre en compte le projet Spinelli (1984), un referendum biaisé en 1992 (pour ou contre Maastricht, un traité élaboré par l'oligarchie financière, occultant les alternatives), la non prise en compte du résultat du référendum de 2005 sur le TCE

- engagement dans le néolibéralisme, la déréglementation financière et la  libération des mouvements de capitaux avec l'Acte Unique (1986),

- les traités depuis Maastricht amplifient la doctrine néolibérale et accentue le travail de sape contre les nations, tandis que le pacte de stabilité et de croissance (1997) initie la destruction des services publics, dont le processus de destruction de l'hôpital et de la médecine qui atteint son point culminant avec la crise de la Covid 19,

- volonté américaine de couper l'Europe de la Russie (doctrine Wolfowitz de 1992, Le Grand Echiquier de Brzezinski en 1997) alors qu'entre 1991 et 1999, la Russie (qui n'est plus l'Union soviétique) demande à intégrer les structures occidentales (ce qui aurait permis une réconciliation entre l'Europe et la Russie, après celle entre la France et l'Allemagne), violation du droit international avec l'intervention de l'OTAN en Serbie en 1999 (au mépris de la position Russe) puis en Irak en 2003, marquant ainsi la défaite de la position défendue par Chirac, Schröder et Poutine. Pour les Etats-Unis, le camp de la paix de 2003 ne doit surtout pas se reproduire.

- le pôle atlantiste en Europe, qui s'est développé depuis l'entrée du Royaume-Uni dans l'Union européenne en 1973, se renforce avec l'intégration de la Pologne et des Pays Baltes en 2004.

En occultant le débat sur la finalité de l'Europe, en occultant l'identité européenne, en ignorant la troisième mutation, en soutenant une globalisation économique à l'anglo-saxonne, l'Europe avance vers sa désintégration et s'isole en participant à l'échelle mondiale à la création d'un nouveau clivage : Etats-Unis, Europe, Royaume-Uni et Australie (avec le versant militaire de l'OTAN et de l'Aukus) d'un côté, contre les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), l'Organisation de coopération de Shanghai et l'Union économique eurasienne.

 
Construire l’Europe en accord avec sa finalité

Contrairement à la logique, on a construit une Europe économique centrée sur l'union économique et monétaire (avec la banque centrale et l'euro) pour éventuellement envisager secondairement une intégration politique et initier un débat sur la finalité de la construction européenne. D'où le décalage entre une certaine réussite économique initialement et l'échec politique qui a permis l'éclosion et l'enracinement d'une guerre sur le sol européen, en ex Yougoslavie, entre 1991 et 1999. La sécurité constituait pourtant un objectif majeur pour les pères fondateurs de l'Europe. De ce point de vue, la construction européenne a échoué. Elle a d'autant plus échoué qu'en ce qui concerne le conflit du Kosovo, une guerre prévisible, prévue près de dix ans à l'avance, s'est déclarée, et l'Europe s'est montrée ensuite impuissante pour y faire face. La problématique est similaire avec l'Ukraine (voir Zbigniew Brzezinski). Ainsi abordé avec recul, l’échec des réformes institutionnelles tient fondamentalement à la séparation artificielle entre l'aspect technique de la réforme et le projet fondateur sous-jacent qui est délibérément ignoré. Si l'on considère donc cet échec, il est évident que l'on ne peut démarrer ce chantier de la réforme institutionnelle sans aborder préalablement le sens et la finalité de la construction européenne. En confinant la construction européenne à des objectifs économiques détachés de toute vision globale, on a réservé le débat européen à une élite. Le succès de l'Europe dépend essentiellement du soutien des peuples qui la constitue. Et pour obtenir ce soutien, on ne peut se contenter de la création d'une monnaie unique. 

A l'aube du XXIème siècle, l'Europe sort des balbutiements de son enfance. Le temps est venu de revenir sur ce qui constitue le projet fondateur de l'Europe et sa finalité, pour ensuite définir les réformes institutionnelles qui s'imposent afin de mener à bien la construction européenne en référence à ce projet fondateur.

Afin d'élaborer un véritable projet fondateur, il nous faut tout d'abord comprendre ce que signifie symboliquement l'élargissement de l'Europe à sa partie centro-orientale. Il faut également replacer ce chantier dans le cadre de la période de mutation que nous connaissons depuis le début du XXème siècle.

L'Europe a connu jusqu'à présent trois grandes mutations dans son histoire. La première mutation correspond à la période Axiale, entre -600 et -300 (L. Mumford et K. Jaspers) marquée par ses innovations socio-politiques, son dévelop­pement artistique et philosophique. La seconde mutation a débuté autour du Schisme d'Occident pour connaître son apogée avec le scientisme. Nous vivons l'apparition d'une troisième mutation depuis que le scientisme est fortement remis en question par la physique quantique. Ces trois mutations s'inscrivent dans le cadre d'un processus que l'on peut appeler, en référence à la psychanalyse jungienne et au processus d'individuation, un processus d'individuation européen. Ce dernier constitue le schéma d'organisation, le fondement de l'Europe. La construction européenne ne peut être viable que si elle parachève le processus d'individuation européen. Mais au lieu de s'engager dans cette voie, l'Europe reste prisonnière de l'idéologie de la seconde mutation, dans l'affrontement entre les opposés, l'hyperlibéralisme contre la Russie (alors que la Russie n'est plus l'Union soviétique et ne prône plus la révolution communiste), le modèle occidental contre les BRICS.

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